J’ai construit, il y a longtemps, un château, une forteresse. De mes mains, pierre par pierre. Des murs épais, indestructibles, à en faire pâlir ceux de Babylone.
La fête y était omniprésente. Cris d’enfants, pleurs aussi, jeux, tendresse, gaité. Ma belle y était reine, la salle des fêtes ne désemplissait pas. Gens de passage, amis fidèles, famille réunie. On fêtait jour après jour les tout et les rien.
J’y avais une tour aussi, d’où je pouvais contempler mon œuvre, notre œuvre. D’où je pouvais admirer mon jardin d’orchidées, de senteurs sauvages, d’arbres au port princier. Merveilleuse insouciance.
Mais c’était sans compter la puissance destructrice du lierre et des ronces.
Année après année, leur travail de sape a fait son œuvre. Commençant par la base, pierre après pierre. Détruisant le ciment indispensable à tout édifice se voulant indestructible. S’infiltrant dans les moindres fissures, dévorant les planchers, brisant les vitres, générant humidité, froid, tristesse, rage. Jusqu’au faîte de ma tour, faisant voler en éclat le dernier toit qu’il nous restait. Et de là -haut, je n’y voyais plus qu’amas de cailloux et désolation.
Ma belle n’a eu d’autre choix que de se réfugier dans nos catacombes, évitant les dernières pierres qui s'arrachaient à ma tour. Univers sombre, glauque, irréel.
Les rires d’enfants avaient fait place aux lamentations, aux pleurs de rage et d’incompréhension.
Alors j’ai hurlé dans mon jardin aux orchidées disparues, aux arbres écorchés vifs. J’en voulais à la terre entière d'avoir permis ma merveilleuse insouciance. J’en ai pleuré…
Je me suis dit que reconstruire seul ce qui fut autrefois le fleuron de ma vie m’était un rêve inaccessible.
A mes cris répondirent des milliers d’artisans, venus du monde entier : France, Belgique, Nouvelle-Calédonie, Suisse, même Maurice la belle île, et tant d’autres.
Je leur ai décrit comment je voyais la reconstruction de ma forteresse. Tous s’y sont mis, avec moi, les uns prodiguant leurs conseils, les autres orientant mes décisions, d’autres encore m’encourageant lorsque j’avais les bras et les jambes épuisés ou la tête vide.
Ma belle et mes enfants sont réapparus dans la lumière qu’ils avaient quittée, depuis si longtemps, et se sont mis à crier avec moi.
Deux mois plus tard, la bâtisse avait repris ses droits, plus belle et rayonnante. Les fêtes ont repris, celles qu’on tient cachées, rien que pour nous, sans témoins. Les amis et les gens de passage, j’irai les voir chez eux, leur laissant à eux le choix de la merveilleuse insouciance.
Il me reste juste à déterrer les racines de ces lierres et ronces, qu’elles n’aient plus jamais droit d’existence sur ma terre.
Dans ma salle des fêtes, j’y ai accroché des portraits, ceux de tous ces artisans anonymes. Et debout, ma belle les observe, mélange d’incrédulité et de tendresse.
Moi, je les déguste. Et je sais pourquoi….