J'ai retrouvé ce que je lui ai écrit et envoyé en décembre.
Je supprime deux trois détails du texte original mais pas grand chose, surtout surtout sur la fin.
Renaud, salutations !
Nous ne nous connaissons pas, mais je sais un peu de toi par tes textes, qui ont accompagné mon adolescence et me suivent parfois encore aujourd'hui ,
et aussi parce que nous avons quelque chose de lourd et de fort en commun : notre maladie.
Pour que les choses soient justes à défaut d'être égales, il faut que je te parle un peu de moi, de ma vie, pour que tu puisses comprendre les circonstances
qui m'ont déposé sur ta route.
Je vais avoir 34 ans et j'ai pris ma première cuite à 12 ans.
J'ai réussi à construire à peu près une vie, et j'ai aussi réussi à détruire beaucoup de choses.
On dit qu'il existe autant de formes d'alcoolisme que d'alcooliques. Mais sous toutes ses formes le résultat est le même : on perd des amis, des conjoints,
on détruit ce qu'on essayait de construire et toujours, on a un mal fou à se rapprocher de ce que les gens appellent le bonheur.
J'ai eu un enfant avec une première femme que j'ai beaucoup aimé, mais l'alcool était plus fort que tout. Je m'enfonçais, buvais une bouteille de whisky par jour ou plus,
et j'ai laissé mon foyer exploser car je ne trouvais pas d'issue.
L'abstinence est un enfer pour nous autres malades et je ne t'apprends rien, boire ou ne pas boire, le résultat est le même : le désespoir.
Je m'enfermais dans la honte et la solitude pour de bon pour la première fois. Je savais que j'étais alcoolique mais aussi que je ne pouvais rien y faire.
J'essayais de trouver des raisons dans mon passé, mes douleurs enfantines, mes désillusions et ma sensibilité. Rien n'y faisait.
On me disait que c'était une question de volonté : "il faut que tu arrêtes de boire !"
Comme on me laissait croire que c'était une question de volonté, je perdais toute confiance en moi, le peu qu'il restait, pensais que j'étais faible et lâche,
et pensais plusieurs fois à la mort.
L'idée de mon petit garçon se retrouvant sans papa me faisait tenir.
Ce premier foyer détruit, j'eus la chance de rencontrer le deuxième amour de ma vie, et de vouloir reconstruire avec elle, et j'ai eu de cet amour un autre enfant.
Mais l'alcoolo dépendance est plus forte que tout. Impossible pour moi d'être heureux, avec, ou sans bouteille.
Ma femme ne voulait plus de moi comme ça, sachant à raison que ça allait détruire sa vie aussi et sans doute celle de notre enfant commun,
aussi je me suis retrouvé au pied du mur de la fin.
Il n'y avait d'autre issue pour moi que la mort.
Et puis en buvant, entre deux pensées morbides, j'ai eu un dernier sursaut d'espoir de combat.
Je me suis souvenu avoir lu un article sur un nouveau traitement underground, méconnu, qui pouvait ôter le besoin de boire pour ne plus laisser que l'envie.
Je me suis dit que c'était ma dernière chance.
Je me suis mis en contact avec l'association Baclofène, on m'a trouvé un doc aguerri au traitement, et je me suis lancé.
Très vite, je me suis senti mieux.
Je continuais de boire un peu avec l'aval de ma conjointe qui voyait un espoir se dessiner elle aussi, mais peu à peu, d'apéros en apéros,
ma consommation d'alcool réduisait, sans que je fasse d'autre effort que de prendre régulièrement mes pilules de Baclo, et en augmentant progressivement les doses.
Sans effort de volonté.
J'oubliais mon verre, tout simplement. Le besoin de boire disparaissait, les barreaux de ma prison psychique sautaient comme des verrous les uns après les autres.
3 semaines plus tard, je me suis senti complètement libéré, et prêt à vivre ma vie comme jamais avant : sans cette horrible sensation de ne jamais être vraiment en paix.
Libre.
Les gens comme toi et moi, Renaud, ont une déficience dans un mécanisme essentiel du système cérébral.
Les réseaux de celui ci peinent à recapter la dopamine qui est lâchée dans le cerveau, ce régulateur de bonheur et d'anxiété qui décide souvent de la dose de "bonheur" ou de "tristesse" d'un être humain.
Le baclofène comble cette déficience. Et nous rend enfin "normaux".
Oui, c'est une maladie.
Oui, on a enfin trouvé un traitement.
Oui, chaque malade devrait pouvoir en profiter.
Maintenant que je t'ai un peu parlé de moi et notre maladie commune, je vais te dire quelles sont les raisons qui m'amènent jusqu'à toi.
Je partage mon expérience avec nombre d'autres malades, parce que c'est devenu pour moi une priorité : essayer de sortir un maximum de personnes de leur propre prison.
La tâche est immense : les lobbies pharmaceutiques, les addictologues, les centres de cure, mènent un combat actif pour retarder la démocratisation du Baclofène, parce qu'elle leur fera perdre beaucoup d'argent.
Heureusement, quelques centaines de médecins courageux ont compris le caractère révolutionnaire et résolument humain de notre combat,
et nous aident à soigner de plus en plus de malades. Les médias, que je ne porte pourtant pas dans mon cœur, parlent aussi de plus en plus et avec enthousiasme de cette découverte.
Mais comme dans tous les combats militants, mon association et ces médecins sont le David qui se bat contre Goliath, et chaque petite victoire est bonne à prendre.
Je viens donc vers toi à double titre.
En tant que malade soigné, guéri, libéré, choisis le terme que tu préfères. Je pense que nous avons tous le droit de se soigner quand on est malade,
et tu as des enfants, que tu as surement envie de voir encore évoluer, avoir leurs propres enfants...
Et puis, n'es tu pas curieux de savoir de quoi je parle quand je te dis que mon esprit a connu la libération totale ?
Essayer de t'aider toi en particulier alors qu'à priori je ne te dois rien, c'est quand même un juste et beau retour des choses.
Tes textes ont accompagné grand nombre de mes moments de vie, parfois très importants, et je te dois en partie ce caractère militant et mes convictions anarchistes.
Y en a pas un sur cent et pourtant ils existent !
Enfin, et justement, c'est aussi le militant qui vient vers toi.
Celui que je suis sait que si un personnage public aussi aimé des Français arrivait à guérir de cette saloperie de maladie qui a ruiné sa santé et une partie de sa vie,
Ce serait pour notre cause une formidable avancée.
Rassure toi : loin de nous l'idée de faire de toi un homme sandwich.
Mais ton témoignage mettrait en avant notre combat.
Notre but : Que les gens cessent de mourir alors qu'enfin il existe une solution valable. Qu'elle soit reconnue, entérinée une fois pour toutes.
Je te souhaite de prendre espoir comme j'ai pris espoir au moment T. Ça a changé, bouleversé ma vie.
Il est loin d'être trop tard pour bouleverser la tienne.
Bien amicalement,
Frank
" Nous n’avons qu’une liberté : la liberté de nous battre pour conquérir la liberté... " Henri Jeanson