En cette presque veille de Noël, je suis allée exhumer deux textes que j'avais fait paraßtre sur mon blog il y a 9 ans.
Le premier est de moi, le second d'un journaliste algérien exilé à Paris et je l'avais trouvé trÚs beau.
Flocerise :
Noël ou Lëon, l'envers du décor ou des décorations.
Je mâapprĂȘtais Ă publier un petit billet un peu amer, sur tout ce que mâinspire cette pĂ©riode de LĂ«on, lâenvers du dĂ©cor (ou des dĂ©corations) de NoĂ«l, quand je me suis ravisĂ©e, Ă la derniĂšre minute comme Dâhab (un pote Ă moi). Pour imager, je mâen serais voulu de vous faire avaler votre foie gras avec, dans la tĂȘte, les rĂ©miniscences dâun documentaire sur le gavage des oies, par exemple⊠Jâai donc privilĂ©giĂ© le bon cĂŽtĂ© des choses avec un petit billet plein dâespoir (cf le prĂ©cĂ©dent)âŠ
Maintenant que la digestion est faite, je me permets de me laisser un peu aller Ă mon vague Ă lâĂąme⊠Cette pĂ©riode de LĂ«on mâest toujours un peu douloureuse, sans parler (hum !) de cette inlassable bande audio, diffusĂ©e en boucle au coin de ma rue pour la quinzaine commerciale, et que je supporte sans trop broncher; tout le monde ne peut pas ne pas ĂȘtre commerçant et je suis bien contente de pouvoir y aller, dans ces commerces ! Mais disons que tout cet Ă©talage de "richesse extĂ©rieure" qui sĂ©vit de plus en plus tĂŽt un peu partout et dont seulement quelques privilĂ©giĂ©s peuvent vraiment profiter, je le supporte de moins en moins. Je ne pense pas quâil sâagisse de jalousie (je ne suis certainement pas la plus Ă plaindre), mais plutĂŽt dâune certaine amertume, avec probablement un zeste de nostalgie⊠Quoiquâil en soit, cette pĂ©riode exacerbe les disproportions en tout genre ; les pauvres se sentent encore un peu plus pauvres, les exclus encore un peu plus exclus, les tristes encore un peu plus tristes, les hors-normes encore un peu plus hors-normes⊠Et puis, fin dâannĂ©e oblige, câest aussi lâĂ©poque des bilans : "Quâest-ce que jâai fait de bon depuis lâan passĂ© ???". AĂŻe ! La question qui tue lorsquâon a le sentiment de piĂ©tiner, histoire de ne pas faire marche arriĂšre, comme si lâon avait pris dans le mauvais sens, un de ces grands tapis roulants dont sont dotĂ©es certaines stations du mĂ©tro parisien (si jâai bonne mĂ©moire !)âŠ
Alors entre NoĂ«l et LĂ«on, mon cĆur oscille, et ça me donne un peu le mal de merâŠ
Akram BelkaĂŻd :
Noël
DĂ©cembre. Le froid, le ciel gris et bas, lâobscuritĂ© Ă seize heures, les SDF allongĂ©s sur les grilles dâaĂ©ration du mĂ©tro et les lumiĂšres Ă©tincelantes de la ville. Dans quelques jours, câest NoĂ«l et, comme chaque annĂ©e, jâentends les mĂȘmes phrases amicales mais prudentes: «Bon, je ne te souhaite pas âjoyeux NoĂ«lâ mais bon week-end quand mĂȘme !», mâa ainsi lancĂ© un confrĂšre. Jâai Ă©tĂ© obligĂ© de lui expliquer que je considĂšre cette fĂȘte comme appartenant Ă tous ceux qui vivent en France. Je nâai pas dit cela pour lui faire plaisir ou pour tenter de le convaincre quâil y a de gentils musulmans ĆcumĂ©niques dans son pays. Non, jâinsiste et jâassume, pour moi NoĂ«l est, en France, lâune des plus belles fĂȘtes.
Bien entendu, je ne me place pas au niveau religieux mais simplement sur le registre de la fĂȘte nationale: ni le 1er mai ni mĂȘme le 14 juillet nâarrivent Ă gĂ©nĂ©rer une telle frĂ©nĂ©sie dans la population française quelle que soit la race ou la religion. Comme le montrent dâailleurs les sondages publiĂ©s tous les ans Ă la mĂȘme pĂ©riode, NoĂ«l est la fĂȘte prĂ©fĂ©rĂ©e des Français. On peut toujours gloser sur le hbal, la folie qui sâempare de tous ces gens qui courent les grands magasins un portable Ă la main et de gros paquets Ă lâautre. Oui, câest vrai, câest le moment de la «hafaga grave»: dinde, foie gras, huĂźtres, charcuterie, boudin, escargots, fruits de mer, chocolats. Oui, câest vrai encore que câest la pĂ©riode vitale pour les commerçants et leurs chiffres dâaffaires. Il nâempĂȘche: NoĂ«l, câest aussi et avant tout la fĂȘte de la famille et des retrouvailles mĂȘme si cette annĂ©e la presse parisienne nous a livrĂ© quelques articles Ă©tonnants sur le «stress de NoĂ«l» et la rĂ©surgence des disputes familiales Ă cette occasion.
Pour ĂȘtre honnĂȘte, je concĂšde que je penserai diffĂ©remment si je vivais encore en AlgĂ©rie. Je nâai jamais supportĂ© de voir des bĂ»ches dans les vitrines des pĂątissiers algĂ©rois Ă lâapproche du 25 dĂ©cembre. Cela me paraissait incongru, totalement artificiel et relevant dâune aliĂ©nation qui ne disait pas son nom. FĂȘter le 1er de lâan me paraissait normal â aaah, les rĂ©veillons organisĂ©s au Club des pins par RĂ©da A. (qui se reconnaĂźtra) â mais en faire de mĂȘme pour NoĂ«l (je ne parle pas des chrĂ©tiens dâAlgĂ©rie ou mĂȘme des mariages mixtes) relevait pour moi de lâanachronisme culturel. Mais le pire, disons-le plus vulgaire, câest cet immense sapin vu dans un centre commercial de DubaĂŻ avec Ă ses pieds une chorale dâAnglaises bien propres sur elles qui se prenaient vraiment au sĂ©rieux comme si elles se trouvaient du cĂŽtĂ© de Trafalgar Square.
Bien sĂ»r â et je rassure lĂ au passage ma mĂšre et ma tante de Blida -, je nâirai pas Ă lâĂ©glise pas plus que je ne chercherai Ă entendre le message urbi et orbi de BenoĂźt XVI. Mais comment vous dire ? En fin de soirĂ©e du 24, alors quâil sera temps pour moi dâabandonner le clavier de mon ordinateur, je serai heureux â oui, heureux et apaisĂ© â dâentendre mes voisins sortir de chez eux pour la messe de minuit.Cela effacera en grande partie le vague Ă lâĂąme que jâaurai Ă©prouvĂ© en fin dâaprĂšs-midi en quittant mon bureau Ă lâheure oĂč les rues de la ville se vidaient pour nâaccueillir que les solitaires et les sans-abri.
Comme tout Ă©vĂ©nement Ă grande portĂ©e culturelle, NoĂ«l est aussi une pĂ©riode qui a ses codes. Jâai par exemple mis du temps Ă remarquer que, souvent, les gens prennent bien soin de dire «joyeuses fĂȘtes» et Ă©vitent le traditionnel «joyeux NoĂ«l». LaĂŻcitĂ© ? Pas vraiment, mais plutĂŽt respect Ă lâĂ©gard de ceux pour qui le 25 dĂ©cembre pourrait ne rien reprĂ©senter de particulier, Ă commencer par les juifs et les musulmans de France. Sont-ils nombreux dans ce cas ? Rien nâest sĂ»r mais si jâai pris soin de vous raconter tout ce que NoĂ«l mâinspire, câest parce que je tiens Ă Ă©voquer le comportement de certains de nos frĂšres en religion. Pour eux, il est hors de question de fĂȘter NoĂ«l car ce serait, toujours selon eux, un grand pĂ©chĂ©. Ils en sont tellement convaincus quâils empĂȘchent mĂȘme leurs enfants, y compris les plus jeunes, de participer aux fĂȘtes organisĂ©es par les Ă©coles et bannissent toute rĂ©fĂ©rence au pĂšre NoĂ«l. Bonjour la schizophrĂ©nie !
Cette attitude est tout sauf clairvoyante. Dâabord, parce quâen 2005, il nâest pas nĂ©cessaire dâĂȘtre chrĂ©tien pour fĂȘter NoĂ«l. Ensuite, parce que ces gens et leurs enfants vivent en France et quâil nâest pas sain de vouloir toujours marquer sa diffĂ©rence. Il est normal de sâĂ©lever contre les discriminations et la xĂ©nophobie ambiantes mais les musulmans de France ont tout de mĂȘme des efforts Ă faire pour empĂȘcher que leurs enfants se sentent Ă©trangers aux autres dĂšs leur plus jeune Ăąge; en un mot, dâempĂȘcher quâils se construisent un imaginaire de minoritaires et donc, potentiellement, dâexclus. FĂȘter NoĂ«l, quand on vit en France, ce nâest pas de lâassimilation ni de lâapostasie. Cela nâempĂȘche pas de garder sa foi et son identitĂ©. Surtout, et câest le plus important, cela permet dâaider ses enfants Ă se sentir le plus longtemps en phase avec leurs camarades mĂȘme si lâon sait que le dĂ©phasage risque de venir plus tard et peut-ĂȘtre mĂȘme de maniĂšre douloureuse.
Certains mâexpliquent aussi quâil ne faut pas souhaiter un joyeux NoĂ«l aux Français parce quâen faisant cela, on les incite Ă demeurer Ă©garĂ©s et Ă lâĂ©cart du chemin de rectitude. Jâavoue ne pas savoir quoi rĂ©pondre si ce nâest que cette fĂȘte est aussi une occasion de nouer un dialogue inter-religieux car lâhistoire des religions est une matiĂšre qui compte des millions de cancres en France. Lorsque je dis que JĂ©sus est notre AĂŻssa et que nous le considĂ©rons aussi comme prophĂšte, les yeux se font tous ronds mĂȘme lorsque je prĂ©cise que pour nous il nâest pas le fils de Dieu et quâil nâest pas mort sur la croix. Et ces yeux sâĂ©carquillent encore plus lorsque jâajoute que Marie, notre Meryem, est citĂ©e prĂšs dâune soixantaine de fois dans le Coran et que les musulmans en appellent souvent Ă elle (surtout au Machrek) et croient Ă lâImmaculĂ©e Conception. Et sâil le faut, je propose une copie de lâessai de traduction de la sourate de Marie par Jacques Berque ou par Hamza Boubakeur (le pĂšre de qui vous savez). Cette sourate Ă propos de laquelle un chrĂ©tien de Syrie mâa Ă©mu un jour en me disant quâil lui arrivait de pleurer en la lisant. Cette sourate oĂč il est question Ă seize reprises dâal-RahmĂąn, «le Tout misĂ©ricorde». Que faut-il ajouter de plus ?
Puissent ces deux textes permettre à chacun de vivre cette période dans le respect et la tolérance...
Un joli néo-proverbe trouvé sur le net :
Il y a des jours avec et des jours sans.
Et les jours sans, il faut faire avec...