Je ne sais pas combien de jours jâai passĂ© tĂ©tanisĂ©e.
Je crois que le baclofĂšne faisant effet, et comme souvent dit, faisant ressortir nos fragilitĂ©s, je me suis trouvĂ©e au bord dâun prĂ©cipice. Vraiment.
Et puis « ma meilleure amie », ma soupape de sĂ©curitĂ©, celle qui mâa toujours permis de mettre mes pensĂ©es en sourdine, de gĂ©rer mon stress nâĂ©tait plus lĂ . Parce que pendant tous ces jours oĂč jâaurais, « avant », plongĂ© dans la fange nausĂ©abonde de la bouffe et de la gerbe, tous ses jours ne mâont pas fait replonger. Je ne pouvais cependant pas mâen rĂ©jouirâŠ
On a commencĂ© Ă me chercher une nouvelle voiture, je nây connais rien. Mon mari mâaide, on cible les recherches. Vu quâon divorce, je nâai plus besoin dâune grosse voiture oĂč mettre 3 enfants Ă lâarriĂšre. Mon aĂźnĂ©e est grande, elle peut aller devant. Ca me tord le ventre. Encore, ⊠Je ne parviens plus Ă me reprendre. Des larmes, encore, toujours⊠Jâai tellement lâimpression que je nâarriverai plus Ă reprendre le dessus, Ă gĂ©rer seule mes 3 enfants que lâidĂ©e de ce divorce mâapparaĂźt physiquement et psychologiquement insurmontable.
Alors, je commence Ă penser Ă demander Ă mon mari de postposer le divorce, le temps que je me remette dâaplomb. Cette idĂ©e me soulage, me rassure. Mais je ne sais pas du tout comment il prendrait cette proposition. Mais câest un papa attentionnĂ©, mĂȘme si souvent sans pĂ©dagogie. Ses enfants comptent pour lui.
Jâose lui dire, lui demander⊠de postposer, de nous donner du temps. Sâen suivra une discussion de 5 heures, sans interruption. Pleine de reproches, de constations, de regrets, de tristesse. On sâest perdu. Son cĆur est sec, il se sent sec. Il ne supportait plus de me voir me dĂ©truire, la procrastination, le corps qui se dĂ©glingue, lâodeur de vomi, la fatigue sur mon visage, lâabsence de projets. A travers ses reproches, je dĂ©couvre que je nâĂ©tais pas seule Ă souffrir, que cette maladie mâ rendue Ă©goĂŻste alors que je pensais ne faire du mal quâĂ moi. Il dit quâil ne mâaime plus, ne me dĂ©sire plus. Mais jây vois de la souffrance aussi. Il me dit que chaque vomissement Ă©tait pour lui une trahison, comme si je le trompais avec un autre homme. Il avait Ă©voquĂ©, il y a longtemps dĂ©jĂ , un Ă©tat dĂ©pressif que jâavais niĂ© dâun haussement dâĂ©paulesâŠ
On vit une vĂ©ritable prise de conscience. Il sait que je vais mieux. Je lui explique le cheminement de mon traitement avec le baclo, il me dit aussi quâil constate que je change depuis quelques semaines, que je perds du poids, que lâodeur de vomi disparaĂźt. Il me dit « câest dommage que ça arrive maintenant ».
Mais je crois que ce nâest pas dommage. Ce qui serait dommage câest de se sĂ©parer Ă lâaube dâun changement. Je nâaime plus lâhomme quâil est devenu. Il nâaime plus la femme que je suis devenue. Mais si, comme je le crois, je suis en train de guĂ©rir. Si, de son cĂŽtĂ©, il soigne sa dĂ©pression, peut-ĂȘtre queâŠ
Il est tard quand on se quitte. Jâavais espĂ©rĂ© au moins une accolade. On part chacun dans notre chambre puisquâon fait chambre sĂ©parĂ©e depuis longtemps. La nuit est difficile, je repense Ă tout ce quâon sâest dit, Ă ce qui est dĂ©finitivement cassĂ©, Ă ses reproches trĂšs durs. Je refais le film de ma vie, cette vie que je dĂ©teste, cette vie oĂč je me dĂ©teste, cette vie tournĂ©e vers la nourriture, cette dĂ©pendance, cette assuĂ©tude, cette crasse Ă laquelle je me suis toujours identifiĂ©e. Je nâĂ©tais pas moi, jâĂ©tais une fille qui mange et qui vomit. Quand je rencontrais des gens, je pensais toujours que la premiĂšre chose que les gens voyaient câĂ©tait que jâĂ©tais grosse, laide, incompĂ©tente malgrĂ© les masques, stupide, vide et que je sentais le vomi.
Je commence Ă penser que, sans la maladie, sans ma meilleure amie, je pourrais reconstruire qui je suis, mĂȘme si je ne sais pas encore comment je vais emplir tout ce vide, toute cette place laissĂ©e libre.
30 ans de ma vie, 30 ans⊠Câest Ă hurlerâŠ
A 7h du matin, mon mari rentre dans ma chambre, me dit quâil nâa presque pas dormi, que comme moi, il commence Ă penser que « peut-ĂȘtre »âŠ
Il me prend dans ses bras, on se sert fort. Il me dit « on devrait revoir les critĂšres de recherche pour la voiture, reprendre une grande voiture et si, finalement on divorce, on sâarrangera Ă ce moment-lĂ .
On reparle longuement et on dĂ©cide de se donner une derniĂšre chance. Conscients, tous les deux, que la route sera longue, les garanties nulles. Une thĂ©rapie de couple Ă mettre en place qui mettra en Ă©vidence quâon doit effectivement divorcer ou quâon a des raisons dây croire.
On a rachetĂ© une voiture 7 places. Jâai mis des voiles dâhivernage sur les petits arbustes fragiles du jardin, jâai rangĂ© une piĂšce toujours en dĂ©sordre, il a pris contact avec un psy, il a refermĂ© le clic-clac sur lequel il dormait depuis des semaines. Je me suis pesĂ©e pour constater que jâai perdu 9 kilos depuis octobre.
Les sillons dĂ©goulinants se tarissent. Jâai envie dâentreprendre, je regarde ma maison que je dĂ©testais, lui reprochant de ne pas ĂȘtre le foyer dont je rĂȘvais en me disant que, maintenant, câest Ă moi dây insuffler la vie et la chaleur.
Rien nâest certain, rien nâest dĂ©finitif. Ni la guĂ©rison qui reste fragile. Ni mon couple qui est si mal en point, mais pour la premiĂšre fois depuisâŠ. Toujours ? Jâai lâimpression que je peux ĂȘtre actrice et pas victime de ma vie.
La boulimie mâa dĂ©truite, a sali tout ce qui aurait pu ĂȘtre, a envahi tous les recoins de ma vie.
Jamais, jusquâĂ il y a quelques jours, je nâai cru Ă une guĂ©rison. Jamais. Jamais, jamais.
Jâai entrepris tellement de dĂ©marches pour mâen dĂ©barrasser, mais jamais je nây ai vraiment cru, tant je mâidentifiais Ă elle. Jâai toujours, jusquâau baclofĂšne, refuser de prendre des mĂ©dicaments, antidĂ©presseurs ou autre, parce que je voulais mâen sortir par moi-mĂȘme, certaine que la guĂ©rison dâune maladie psychologique ne pouvait passer que par le psychologique. Je mâĂ©tais trompĂ©e.
Leçon dâhumilitĂ©.
Leçon dâhumanitĂ©.
Message édité 1 fois, derniÚre édition par Paoline, 21 Décembre 2016, 15:23
"Je vis ma vie en Ă©ternel point d'interrogation. Je vis dans sa courbe et ma chute me renvoie toujours vers le haut, comme un toboggan perpĂ©tuel. Un jour peut-ĂȘtre, aurais-je moins d'Ă©lan, moins d'allant et je desecendrai paisiblement vers le point" CG, 2001.