Bonsoir Greg,
Je viens de lire ton fil, et voudrais à mon tour te dire ce que j'en pense. J'espère pouvoir apporter quelque chose à ton moulin. Une chose importante à savoir pour mettre en perspective ce qui suit, c'est que je ne fréquente le forum que depuis une grosse semaine, avec plus ou moins d'intensité.
D'abord te dire que tous les avis que tu as reçus sont précieux. Comme "nouveau", je remarque que de nombreux membres sont intervenus dans ton fil. C'est peut-être (je peux me tromper) parce que tu es à un seuil, celui qui va de l'alcoolisme sans dépendance grave à l'alcoolisme qui fout ta vie en l'air. Du coup tout le monde essaie de t'éviter de franchir le seuil, parce que souvent on sait ce que ce franchissement cause de dégâts.
D'où le deuxième point : ces avis sont précieux car riches de l'expérience. Ne t'y trompe pas, ils disent souvent le moins pour signifier le plus. Même si parfois on peut avoir l'impression que chacun renvoie tout à soi-même, c'est juste par pudeur, pour ne pas se mêler trop de ta vie qui est la tienne et pas la leur, par pudeur, pas par égocentrisme. Et aussi parce que tout ce qu'on peut lire sur l'alcoolisme ne remplace pas le récit d'une expérience personnelle : on passe de l'abstrait au concret. Et en plus quand les avis divergent, on peut les remettre en perspective par rapport à l'histoire de chacun, et juste s'en enrichir pour sa propre histoire à soi. Tout ça pour dire, encore une fois, que tu fais très bien de réagir, et de réagir maintenant.
Ce qui m'amène au thème du silence. Le forum sert éventuellement à ça, à parler quand on ne veut/peut pas parler ailleurs. C'est le cas pour moi : je suis censé pour le peu d'entourage qui me reste (mes parents et mes frère et soeurs) avoir arrêté de boire il y a deux ans. Ce serait trop dur de leur dire que je bois toujours, même s'ils s'en doutent peut-être.
Une chose qui me semble très importante. Quand on va voir un médecin, on y va soi, en tant que personne, tout entière. Lui avouer quelque chose qui nous fait honte peut sembler difficile. Le professionnel de santé, lui, agit en professionnel. Non pas qu'il s'en fout (normalement), mais il ne met pas la même quantité d'affect que le patient dans ce qui se dit : il se demande juste quoi faire, en fonction de ses connaissances. Même quand on est proche de son médecin, il agit en professionnel. Un des posts de Florence dans ton fil est génial pour montrer ça : elle avait peur de parler, et a eu l'impression après coup que son médecin l'admirait de faire tout ce qu'elle faisait malgré son alcoolisme. En fait un médecin ne te juge pas, ne se positionne pas moralement face à son patient : tu imagines sinon la fatigue après une journée de boulot et 20, 30 ou 40 patients ? Et même s'il juge, ce n'est pas important pour lui, bien moins que pour le patient qui vient avouer son alcoolisme, qui lui ne craint qu'une chose : être jugé. Conclusion : il faut PARLER à son médecin. Si jamais il te juge (et si c'est possible concrètement), changer de médecin (et si tu veux le faire culpabiliser car il sait qu'il n'a pas à juger).
Autre conséquence de ce "professionnalisme" : un médecin peut ne pas savoir quelque chose, surtout quand c'est relativement nouveau, et être très content de l'apprendre. Au hasard (et vraiment au hasard, hein), il peut être content d'apprendre qu'il pourra enfin soigner ses malades alcooliques grâce au baclofène. Il y a une excellente brochure à imprimer et à donner aux médecins néophytes sur la page d'accueil du forum. Et puis face à un médecin qui juge et/ou qui n'a pas envie d'apprendre, Sylvie (on te l'a déjà dit, je crois) peut sans doute te fournir des adresses.
Sur le silence avec son entourage, et notamment avec ton amie. J'aurais beaucoup à dire : le mieux est peut-être que je te raconte mon expérience sur ce point. Ca c'est fini avec mon ex parce qu'elle avait été voir un psy pour lui demander si l'alcoolisme se guérissait, et lui lui a dit que non, que ça ne guérissait jamais. C'était sans doute scandaleux, parce que j'avais clairement un problème avec l'alcool, mais j'étais à un "seuil" : je m'arrêtais souvent quelques jours de boire, n'avais pas l'impression d'être dépendant, etc. Elle m'a quitté, et j'ai bu au moins deux fois plus (comme te le dit un des membres du forum). Ca a débouché sur des catastrophes professionnelles, amicales : je suis maintenant absolument seul, sauf pour les seules personnes qui me sont liées indéfectiblement, par le sang, c'est-à -dire ma famille. Sinon plus rien : ni boulot, ni famille, ni copine(s). Rien. Je ne dis pas qu'il va t'arriver la même chose. Je dis juste que ça vaut le coup de se soigner vite et à temps s'il y a 0,01 % de risques que ça arrive, ce que permet le baclofène. Ce dont je suis sûr maintenant, c'est que le psy que mon ex a été voir ait eu tort ou raison, que son attitude sait été scandaleuse ou non, le plus simple aurait été d'arrêter de boire, ou de n'avoir jamais été alcoolique. Mon amie serait toujours (peut-être) avec moi. Le baclofène permet ça.
D'où mon avis (tu l'auras senti venir) sur la parole avec ton amie : ne dis rien, et sers toi de ce silence pour te motiver dans le traitement baclofène, qui est efficace. De toutes façons, sauf si tu n'aimes plus ton amie et veux aller voir ailleurs, il faudra arrêter de boire si tu veux la garder, que tu parles ou pas. Si tu peux éviter de parler, ça peut éviter pas mal de dégâts...
Autre chose sur le silence. Je me suis aperçu après coup (hélas) que beaucoup de personnes de mon entourage s'inquiétaient de mon alcoolisme bien avant que je ne m'en inquiète, mais n'avaient rien dit. Par pudeur, pour ne pas dramatiser, pour ne pas s'emmerder, que sais-je ? Souvent, c'était aussi parce qu'elles m'aimaient, qu'elles ne pouvaient pas mesurer exactement la gravité de la situation, et espéraient que ça passerait après la fin d'une passe un peu difficile. En fait, je crois que c'est mieux de respecter leur silence. De toutes façons je ne saurai peut-être jamais pour la plupart d'entre elles si elles savaient ou non, si elles s'inquiétaient ou non avant que moi je m'inquiète. Pour pouvoir mettre de côté la question, la seule solution est d'arrêter de boire.
Deux choses enfin que j'ai retenues de mon parcours d'alcoolique, que je te dis parce qu'elles sont importantes pour moi, comme repères : la première est que pour un alcoolique tout peut être prétexte à boire. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de bonnes raisons pour expliquer un alcoolisme, je dis juste que tant qu'on est alcoolique, il est rigoureusement impossible de savoir si telle ou telle raison est bonne ou non, ce qui peut rendre à peu près fou. On ne peut travailler sur soi, par exemple dans ton cas sur le rapport à la solitude, qu'après avoir cessé de boire. Jusque là , tout est faussé.
La deuxième c'est que quand tu lis qu'il y a 60% de réussite avec le baclofène, les 40% qui n'y arrivent pas c'est souvent un problème de mise au point. Là encore le forum et la documentation sont là pour pallier ce genre de problèmes, pour qu'ils ne deviennent pas un obstacle à la guérison.
Bon, je m'arrête là ... Mon message contient sans doute beaucoup trop de "il faut...", sous une forme ou sous une autre ; beaucoup trop de "je" en tous cas ; ou il peut sembler très dramatisant, exagérément alarmiste. Trop "pub pour baclofène" aussi : c'est l'enthousiasme de celui qui vient de découvrir qu'il peut peut-être enfin s'en sortir (mais si tu peux arrêter de boire sans baclofène, c'est aussi bien...) Je m'excuse de tout cela. C'est difficile de trouver la juste distance, surtout quand on n'est pas habitué à la communication internet. Je ne veux pas te faire peur, juste te dire, pour avoir été plus ou moins dans ton cas assez longtemps, que la bascule vers l'alcoolisme pathologique arrive vite, qu'on ne la voit pas venir, qu'on ne s'aperçoit qu'après coup qu'on a basculé. En tous cas c'est ce qui s'est passé pour moi, que je ne souhaiterais pas à mon meilleur ennemi. Et longtemps, si un alcoolique me parlait de son expérience, je trouvais que ça ne s'appliquait pas à moi, qu'il dramatisait trop.
Tu n'es pas intervenu sur ton fil depuis quelques jours, j'espère que c'est une bonne nouvelle, que c'est parce que tu vas bien. Sinon, si tu lis ce long message, j'espère qu'il t'apportera quelque chose.
Bartelby.
Message édité 1 fois, dernière édition par , 13 Mars 2019, 4:19