Salut à tous,
Je m'appelle Olivier, j'ai 32 ans et je vais me présenter dans ce long texte. Merci à ceux qui auront la patience et le courage de me lire.
En premier, un formidabeul merci à tous, car depuis longtemps, j'ai vécu à travers vos mots et me suis reconnu mille fois, sans jamais donner à mon tour. Vous m'avez apporté beaucoup, me retrouvant moins seul face à la maudite bouteille.
Alors commencons depuis le début.
J'ai toujours eu un interet pour l'alcool. Quand j'avais 9, 10 ans (au pifographe), j'adorais trouver les fonds de verres oubliés de la soirée, quand mes parents recevaient des amis. Je me les sifflais discretosse en douce, sinon je me serai fait engueuler, avec la volupté du plaisir interdit.C'était assez rare, mais j'adorai ça. Les gouts sucrés et étranges, et le peu d'alcool éventé par la nuit qui subsistait. Merveilleux souvenirs de mon enfance heureuse. Mon jeune cerveau de gamin passionné par tout, et solitaire découvait sa première drogue !
J'aimais et j'aime toujours le calme,la beauté de la vie naturelle et les choses de l'Esprit (qui sontloin d'être toujours calmes). Quand les copains de l'école jouaient au foot, je lisais des livres. Ce qui avait le pouvoir suprême de les emmerder... Je faisais pas exprés, et j'en ai souffert un moment. Ne pas être dans le groupe des forts, des beaux, des winners... En même temps, je m'en foutais un peu, de pas être du troupeau moutonnesque et bourrin. Puis le temps passais, et je m'affranchissais de ces differences. Avec le recul, je dirai qu'elles m'ont plutôt permis de pouvoir librement penser par moi-même.
Là, j'ai 11 ans. Je m'emmerde au collège comme pas possible. J'étais arrivé mort de faim de savoir,et j'étais ecœuré au bout de 3 jours. Programme débile, lectures débile, colles et punitions. Déceptions amères. Encore plus de blaireaux à fréquentation forcée. Bon, rien à foutre. Je ferai avec.
Dans mon coin, j'apprend la programmation informatique, des bouts de codes planqués dans mes cahiers. A programmer des synthés et des machines de studio, et à découvrir les choses des mystères au-delà du tangible. Alors que l'on essaye sans relache de m'imposer des cadres cartésiens et indépassables.
J'ai 14 ans. Je dois suivre mes parents et changer de région. C'est très dur pour moi, au millieu de ce bordel d'ado, j'avais réussi à me construire une seconde famille de quelques copains, pas nombreux mais trés proches et liés. Je dois donc les quitter. Salut les potos, on s'oublie pas.
La pire année de ma vie. J'ai 14 piges, je suis forcé de cotoyé les nouveaux crétins du collège local.
A force de « peut mieux faire» et autres «a des capacités qu'il n'utilise pas » je me re-tape une 4eme. La premiere était si passionnante... Heureusement, j'ai un super pote, mon premier Macintosh à moi ! (merci papa, mon papa c'est le meilleur). Mes journées n'ont plus qu'un sens, retrouver mon ordi, et faire de la musique avec ou programmer (Internet c'est pas encore de ce monde, nous sommes en 1995).
Et quand je suis seul à la maison,j'aime terriblement me servir un petit Cointreau avec de la glace. Je savoure longtemps ce nectar interdit, perdu dans ma campagne solitaire avant de retourner à mes sequencers et autres synthés sur mon Mac bien-aimé, jusque trop tard dans la nuit.
J'ai 15 ans. Je ne crois définitivement plus au hasard. Cette année de collège est une torture de plus par l'ennui. L'insignifiance élevée en dogme. J'aime trop lire, découvrir, comprendre, créer. Manifestement ce n'est pas bienvenu, ici non plus. L'année maudite et interminable passe.
Je rencontre celle qui sera toujours à mes côtés aujourd'hui. Et j'apprend que je nous allons déménager de nouveau. Je ne peux que suivre.
Et c'est le mois de juin, les derniers jours de bourrage de crane par le vide, mais...
Mais j'ai l'intuition que j'ai quelquechose à faire. Ce genre d'intuition qui ne vous lache pas.
Je dois lui demander, à elle,maintenant.
Nous sommes dans la même classe depuis une année. Tout nous oppose. Ou presque.
Moi le timide introverti à mort, sans alcool et sans seresta10mg, à 10 jours de la fin des cours, j'affronte ma trouille totale et je lui dis la vérité : je dois partir bientôt, je veux rester avec toi.
J'ai eu le bon goût de lui dire ça un vendredi, si bien que j'ai passé un des plus terrifiant weekend d'attente de ma jeune vie. Heureusement, à l'époque je ne planquais pas des vodka sous mon lit.
Le lundi. Elle a dit oui.
Le plus fantastique jour de ma vie. Moi qui n'avais jamais touché une fille par respect mystique de ce genre de lien. Je l'ai pris très doucement dans mes bras, et nous nous sommes embrassés et serrés tous les deux, comme si nous nous connaissions de toute éternité.
Le plus fantastique jour de ma vie.
C'est les grandes vacances d'été. Je me paye mon premier scooter (génial ça) et je me roule de longues balades en solo à travers mon Vercors natal. Je peux même souvent rejoindre ma chérie à 50 bornes de là. Et siffler quelques gorgées de gnôles en douce chez ses parents. Je sais c'est moche, mais c'est plus fort que moi.
J'ai 20 ans. J'ai enfin arrété le lycée. Ils ont gagnés, tant pis pour eux. Je compose et joue de la musique presque à temps plein. Seul avec mes machines. A parfois un pack de bières. De plus en plus souvent en fait. Avec un chti pétard, ca le fait bien.
Je commence à réaliser que l'alcool est un peu trop présent dans ma vie. Je travaille quand j'ai besoin de me payer du materiel electronique et c'est tout.
Puis viens quand même le temps de changer de vie. J'adore papa maman mais là, il faut que je me casse. Je me prend un ptit studio pas loin, juste assez grand pour y faire tenir tous mes claviers mes ordis mes machines, un lit et une cafetiere.
Ma maman a versé sa larme : Son fils qui s'en va … Elle est une petite boule d'amour pur. Elle et son père alcoolique que je n'ai jamais connu. Elle a été abandonnée.
Un ptit boulot regulier pour payer tout ça et c'est la fête.
Pas de bol, je me retrouve au chomedu quelques semaines aprés. Je décide de prendre un an à me consacrer completement à la musique et au dessin. Et je fume des joints comme un gros tox. Pet sur pet. Je peux dessiner ou jouer des claviers pendant 70 heures d'affilées sans sommeil, pas de problème.
Et boire regulierement un peu de bière ou de vin. Pas énorme. Déjà trop.
Au bout d'un an, il faut que je bouge. C'est bon j'ai donné, entre quatres murs, mes synthés mes dessins et mes pétards. Je trouve une formation pour adulte. Non sans mal. Mais loin de chez moi. Je suis logé la semaine. Et les soirées sont longues quand on finit à 17h... Alors je m'approvisionne en bière au supermarché du coin, et j'étudie les brevets de Nikola Tesla.
Autant dire que je suis bien attaqué tous les soirs.
Huit mois plus tard, je rencontre un patron qui m'embauche direct. Il deviendra un des mes meilleurs amis. Il possede une superbe et immense maison où il vit seul, dans un coin magnifique. Il me propose de loger chez lui. Oui mais voilà : c'est un fou furieux du boulot. Horaires impossibles, weekend compris, vacances connais pas.
Le boulot me fait pas peur, je suis. Mais je prend soin d'avoir un ou deux litres de whisky à porté de main pour la soirée, pour supporter le rythme. Le soir je bois pour supporter la fatigue et l'éxigence de perfection sans limite du boss.
4 ans comme ça. Nous nous séparons en bons termes, avant de nous étriper à coup de pelle. C'eut êté dommage de gacher une amitié pareille pour des désaccords sur les priorités de la vie, et sur de plus en plus de choses. A force de bosser ensemble et vivre ensemble, on pouvait plus se blairer.
J'ai gagné un peu de fric, quand même, mais pas énorme, et je m'achète (a crédit hein faut pas réver non plus) une ancienne ferme à la campagne, d'où je vous écris en ce moment. Nous nous y intallons avec ma chérie, et je me mets à mon compte...
Sur M6 on dirait : Et là, c'est le drame !
Je suis loin de mes connaissances professionnelles, des amis etc... Les commandes n'arrivent pas mais les charges sont bien là. En milliers d'euros, quand vous n'avez pas de revenu, ca prend vite une tournure terriblement angoissante.
Et je bois de plus en plus. Pour pouvoir dormir sans penser au RSI aux banques aux assureurs, et toute la sainte trinité. Et aussi pour passer le temps car les journées se font longues.
D'abord au rosé. 2 litres 3 litres puis 4... A vomir son vin, et reboire derrière, la grande classe. Je suis seul toute la semaine car mon amie ne trouve pas de travail dans la region. Elle me retrouve le weekend, la plupart du temps déjà bien allumé à son arrivée, et buvant encore devant elle, même la nuit, ouvertement ou en planque... Elle s'inquiète pour moi et pour nous. Ne sait pas trop quoi faire. Si elle doit m'engueuler, ne rien dire, rester ou se barrer.
Elle sait que je bois pour supporter la folie du monde. On en parle souvent. Elle comprend que je ne fais pas ça pour m'amuser.
Si elle s'énerve, je la renvoie face à ses contradictions à elle. Ou je ne dis rien, car je n'ai rien à dire, je suis vide ou en colère. Je tente d'expliquer, de lui montrer l'aspect incontrolable et salvateur de mon mortel médicament liquide. La haute conscience que j'ai du phénomène. Parfois j'ai pu dire des trucs horribles.
Je ne suis jamais violent physiquement, mais je peut être terrifiant de cynisme.
Si elle ne dit rien, je bois quand même, on fait semblant que tout soit normal et les non dits s'amassent.
C'était les pires moments.
J'étais perdu, triste comme une pierre de lui faire subir ça. J'ai peur de tout perdre. Je me dis parfois que je devrai m'accrocher à une branche et qu'on en finirai avec cette vallée de larmes.
Et j'ai honte. De ne pas pouvoir travailler comme j'aimerai. De ne pas gagner de fric. De boire comme un trou du matin au soir. D'organiser ma vie autour du stock de produit. De laisser trainer la paperasse et tout ce qui m'emmerde, ce qui me vaut majorations et lettres de relances ou d'huissiers en pagaille. De lui laisser gérer toute la situation, les factures, tout. Situation anxiogène au possible.
Et vas-y que je picolle encore plus. Au pastis, même la nuit. Je me relève pour boire un verre ou deux,chargé comme un colombien. Parfois pur, au goulot direct... Bien dégueu qui colle à la gorge. Je dors le jour, ou plutot je cuve mes verres de la nuit. J'ai les yeux jaunes, la langue verte et je sens la distillerie irlandaise à trois bornes.
Je ne peux plus dormir si j'ai pas ma dose. Et si j'essaye, completement épuisé, je dors deux heures et me réveille avec l'obsession fatale.
J'ai 30 ans. J'ai tout. Je vis dans le genre d'endroit dont j'ai toujours révé quand j'étais gosse, au vert. J'ai un métier que j'aime, j'ai une petite femme en or, des parents adorables, un frangin génial... La santé, pas de dettes (sauf la maison) J'ai tout, et je fous tout en l'air. Cercle vicieux, je bois encore plus pour survivre à ma connerie, ma honte, ma faiblesse, enfin vous connaissez le topo.
J'essaye d'arreter net, plusieur fois. Je tiens une semaine de torture. Ou deux. Mon record c'est environ 3 mois. L'enfer des abstinents. Je crois que j'ai pas besoin de vous expliquer de quoi il retourne, ici ! Le pire c'était de me reveiller en ayant revé que je buvais. Le gout dans la bouche, a me demander si c'était vrai, si c'etait encore un black-out, si j'avais vraiment bu, et quoi ? Combien ?
Les cuites passent. Quotidiennes.
J'essaye de comprendre, de trouver des solutions avant de tout perdre, mais rien. Je lis beaucoup, et toujours la même chose : des médicaments qui marchent à moitié au mieux, des cures et des rechutes... Déprimant. Rien à faire. Je suis donc contraint de faire ma vie en fonction de la maudite bouteille ?
Je ne fais plus de musique, plus de dessin, plus rien de ce que j'aimais. Je bois, claque des sommes fantastiques en boisson, je rentre chez moi et je m'atomise lecerveau en revant d'être autre chose qu'une merde de pochtron. Je vois le moins de gens possible, essayant de cacher mes mains qui tremblent, de ne pas trahir mes black-out... (Ah je t'ai téléphoné hier ? Ahhhh ouiii.... hm hm..).
Puis un jour, je m'en souviens si clairement, j'étais assis dehors sous mes arbres, probablement déjà bien bourré, il faisait beau en cette fin de printemps, et j'écoutais France Inter débiter sa propagande et ses faits divers quand mon oreille capte « alcool »... Ils étaient en train de parler de la découverte d'Olivier Ameisen. J'en avais les larmes au yeux et un sourire jusqu'aux oreilles !
Je suis retourné réécouter ça sur internet, et j'ai commandé son livre.
Un espoir ! Un putain d'espoir ! Enfin une porte.
Il m'a fallu quelques mois pour me décider. Entre temps j'ai arrêter mon entreprise avant d'être completement ruiné. Et depuis je descend environ un litre de vodka par jour. Sinon pas moyen de dormir ou de supporter la situation.
Il y a un mois, pour la première fois, je suis aller voir mon toubib. Elle n'a pas voulu me prescrire de baclo, mais m'a donné du seresta 10mg. C'est vrai que ca aide à tenir le coup sans boire, et surtout à dormir, parce que j'enchainais les nuits blanches d'angoisses, c'etait insupportable et épuisant.
Elle m'a orienté vers un alcoologue. Qui je l'ai su un peu avant ne prescrivais pas de baclo non plus. Alors, nous avons causé une bonne heure, bon contact, et convenant de nous revoir dans 15 jours et dans un mois. Et je suis reparti avec de nouveau seresta et naltrexone. Je ne lui ai pas parlé du baclo.Je le ferai dans quinzes jours. On verra bien sa réaction.
Je sais que je ne devrai pas penser ça, mais je suis surs que son seresta et sa naltrexone ne changeront rien. Et la théorie du « d'abord déconditionner la prise d'alcool» c'est du flan... Autant aller bruler un cierge. M'enfin, je veux bien jouer le jeu. Rien à perdre.
Je crois que je vais quand même chercher un prescripteur de baclo. J'ai déjà des pistes. J'attend juste mon second rendez-vous, pour tester la réaction du Doc. Si c'est niet, on avisera. Aprés 15 ans d'alcoolisme, je suis plus à 2 mois prés.
Nous avons 31 et 32 ans maintenant.
Ma femme cherie est toujours là, et plus que jamais ma moitié. Je lui dois tellement. Je ne serai probablement plus là à vous prendre la tête si elle n'était pas là. (Remerciez là ! )
Elle est souvent désemparée et triste de ne pas pouvoir faire plus pour moi. Je lui ai dit si souvent qu'elle fait déjà plus que ce qu'elle ne pense.
J'ai cette chance immense d'avoir une femme fantastique, et des parents en or. Qui savent mon alcoolisme puisque je leur ai dit. Qui ne me juge pas, et qui sont là pour moi. Je n'ai jamais eu droit au si banal et compréhensible « pourquoi tu bois, tu fous ta vie en l'air, etc... ».
J'ai aussi un frère formidable, un Juste, que j'aimerai voir plus souvent. Et pas que lui prendre la tête au téléphone pendant des heures quand j'ai 12 grammes dans chaque bras.
Voila, j'en suis là. Plein d'éspoir. Merci à ceux qui ont tenu jusqu'au bout. Et merci à tous en général. Jevous souhaite plein de courage, face à la méchante molécule, on vas s'en tirer. Je suis plein d'espoir en bonne partie grace a vous tous.
C'est vraiment émouvant et régénérant de lire les témoignages de ceux qui s'en sont sortis.
Vous écrire cette belle tartine m'a fait beaucoup de bien. Je sais qu'ici je ne serai pas jugé comme «à l'exterieur » Vous me comprenez, je n'ai aucun doute.
J'éspère que ces quelques mots seront utiles à tous ceux qui en auraient besoin.
J'essaierai de donner des nouvelles bientôt.
PS : Je viens d'apprendre le décés d'Olivier Ameisen. C'est une grande tristesse qui me noue la gorge. Puisse-t-il reposer en paix. J'éspère qu'il sera reconnu pour ce qu'il a fait : une révolution.
Bien amicalement,
Oliv
Message édité 8 fois, dernière édition par Oliv, 17 Septembre 2014, 9:28
Je m'appelle Olivier, j'ai 32 ans et je vais me présenter dans ce long texte. Merci à ceux qui auront la patience et le courage de me lire.
En premier, un formidabeul merci à tous, car depuis longtemps, j'ai vécu à travers vos mots et me suis reconnu mille fois, sans jamais donner à mon tour. Vous m'avez apporté beaucoup, me retrouvant moins seul face à la maudite bouteille.
Alors commencons depuis le début.
J'ai toujours eu un interet pour l'alcool. Quand j'avais 9, 10 ans (au pifographe), j'adorais trouver les fonds de verres oubliés de la soirée, quand mes parents recevaient des amis. Je me les sifflais discretosse en douce, sinon je me serai fait engueuler, avec la volupté du plaisir interdit.C'était assez rare, mais j'adorai ça. Les gouts sucrés et étranges, et le peu d'alcool éventé par la nuit qui subsistait. Merveilleux souvenirs de mon enfance heureuse. Mon jeune cerveau de gamin passionné par tout, et solitaire découvait sa première drogue !
J'aimais et j'aime toujours le calme,la beauté de la vie naturelle et les choses de l'Esprit (qui sontloin d'être toujours calmes). Quand les copains de l'école jouaient au foot, je lisais des livres. Ce qui avait le pouvoir suprême de les emmerder... Je faisais pas exprés, et j'en ai souffert un moment. Ne pas être dans le groupe des forts, des beaux, des winners... En même temps, je m'en foutais un peu, de pas être du troupeau moutonnesque et bourrin. Puis le temps passais, et je m'affranchissais de ces differences. Avec le recul, je dirai qu'elles m'ont plutôt permis de pouvoir librement penser par moi-même.
Là, j'ai 11 ans. Je m'emmerde au collège comme pas possible. J'étais arrivé mort de faim de savoir,et j'étais ecœuré au bout de 3 jours. Programme débile, lectures débile, colles et punitions. Déceptions amères. Encore plus de blaireaux à fréquentation forcée. Bon, rien à foutre. Je ferai avec.
Dans mon coin, j'apprend la programmation informatique, des bouts de codes planqués dans mes cahiers. A programmer des synthés et des machines de studio, et à découvrir les choses des mystères au-delà du tangible. Alors que l'on essaye sans relache de m'imposer des cadres cartésiens et indépassables.
J'ai 14 ans. Je dois suivre mes parents et changer de région. C'est très dur pour moi, au millieu de ce bordel d'ado, j'avais réussi à me construire une seconde famille de quelques copains, pas nombreux mais trés proches et liés. Je dois donc les quitter. Salut les potos, on s'oublie pas.
La pire année de ma vie. J'ai 14 piges, je suis forcé de cotoyé les nouveaux crétins du collège local.
A force de « peut mieux faire» et autres «a des capacités qu'il n'utilise pas » je me re-tape une 4eme. La premiere était si passionnante... Heureusement, j'ai un super pote, mon premier Macintosh à moi ! (merci papa, mon papa c'est le meilleur). Mes journées n'ont plus qu'un sens, retrouver mon ordi, et faire de la musique avec ou programmer (Internet c'est pas encore de ce monde, nous sommes en 1995).
Et quand je suis seul à la maison,j'aime terriblement me servir un petit Cointreau avec de la glace. Je savoure longtemps ce nectar interdit, perdu dans ma campagne solitaire avant de retourner à mes sequencers et autres synthés sur mon Mac bien-aimé, jusque trop tard dans la nuit.
J'ai 15 ans. Je ne crois définitivement plus au hasard. Cette année de collège est une torture de plus par l'ennui. L'insignifiance élevée en dogme. J'aime trop lire, découvrir, comprendre, créer. Manifestement ce n'est pas bienvenu, ici non plus. L'année maudite et interminable passe.
Je rencontre celle qui sera toujours à mes côtés aujourd'hui. Et j'apprend que je nous allons déménager de nouveau. Je ne peux que suivre.
Et c'est le mois de juin, les derniers jours de bourrage de crane par le vide, mais...
Mais j'ai l'intuition que j'ai quelquechose à faire. Ce genre d'intuition qui ne vous lache pas.
Je dois lui demander, à elle,maintenant.
Nous sommes dans la même classe depuis une année. Tout nous oppose. Ou presque.
Moi le timide introverti à mort, sans alcool et sans seresta10mg, à 10 jours de la fin des cours, j'affronte ma trouille totale et je lui dis la vérité : je dois partir bientôt, je veux rester avec toi.
J'ai eu le bon goût de lui dire ça un vendredi, si bien que j'ai passé un des plus terrifiant weekend d'attente de ma jeune vie. Heureusement, à l'époque je ne planquais pas des vodka sous mon lit.
Le lundi. Elle a dit oui.
Le plus fantastique jour de ma vie. Moi qui n'avais jamais touché une fille par respect mystique de ce genre de lien. Je l'ai pris très doucement dans mes bras, et nous nous sommes embrassés et serrés tous les deux, comme si nous nous connaissions de toute éternité.
Le plus fantastique jour de ma vie.
C'est les grandes vacances d'été. Je me paye mon premier scooter (génial ça) et je me roule de longues balades en solo à travers mon Vercors natal. Je peux même souvent rejoindre ma chérie à 50 bornes de là. Et siffler quelques gorgées de gnôles en douce chez ses parents. Je sais c'est moche, mais c'est plus fort que moi.
J'ai 20 ans. J'ai enfin arrété le lycée. Ils ont gagnés, tant pis pour eux. Je compose et joue de la musique presque à temps plein. Seul avec mes machines. A parfois un pack de bières. De plus en plus souvent en fait. Avec un chti pétard, ca le fait bien.
Je commence à réaliser que l'alcool est un peu trop présent dans ma vie. Je travaille quand j'ai besoin de me payer du materiel electronique et c'est tout.
Puis viens quand même le temps de changer de vie. J'adore papa maman mais là, il faut que je me casse. Je me prend un ptit studio pas loin, juste assez grand pour y faire tenir tous mes claviers mes ordis mes machines, un lit et une cafetiere.
Ma maman a versé sa larme : Son fils qui s'en va … Elle est une petite boule d'amour pur. Elle et son père alcoolique que je n'ai jamais connu. Elle a été abandonnée.
Un ptit boulot regulier pour payer tout ça et c'est la fête.
Pas de bol, je me retrouve au chomedu quelques semaines aprés. Je décide de prendre un an à me consacrer completement à la musique et au dessin. Et je fume des joints comme un gros tox. Pet sur pet. Je peux dessiner ou jouer des claviers pendant 70 heures d'affilées sans sommeil, pas de problème.
Et boire regulierement un peu de bière ou de vin. Pas énorme. Déjà trop.
Au bout d'un an, il faut que je bouge. C'est bon j'ai donné, entre quatres murs, mes synthés mes dessins et mes pétards. Je trouve une formation pour adulte. Non sans mal. Mais loin de chez moi. Je suis logé la semaine. Et les soirées sont longues quand on finit à 17h... Alors je m'approvisionne en bière au supermarché du coin, et j'étudie les brevets de Nikola Tesla.
Autant dire que je suis bien attaqué tous les soirs.
Huit mois plus tard, je rencontre un patron qui m'embauche direct. Il deviendra un des mes meilleurs amis. Il possede une superbe et immense maison où il vit seul, dans un coin magnifique. Il me propose de loger chez lui. Oui mais voilà : c'est un fou furieux du boulot. Horaires impossibles, weekend compris, vacances connais pas.
Le boulot me fait pas peur, je suis. Mais je prend soin d'avoir un ou deux litres de whisky à porté de main pour la soirée, pour supporter le rythme. Le soir je bois pour supporter la fatigue et l'éxigence de perfection sans limite du boss.
4 ans comme ça. Nous nous séparons en bons termes, avant de nous étriper à coup de pelle. C'eut êté dommage de gacher une amitié pareille pour des désaccords sur les priorités de la vie, et sur de plus en plus de choses. A force de bosser ensemble et vivre ensemble, on pouvait plus se blairer.
J'ai gagné un peu de fric, quand même, mais pas énorme, et je m'achète (a crédit hein faut pas réver non plus) une ancienne ferme à la campagne, d'où je vous écris en ce moment. Nous nous y intallons avec ma chérie, et je me mets à mon compte...
Sur M6 on dirait : Et là, c'est le drame !
Je suis loin de mes connaissances professionnelles, des amis etc... Les commandes n'arrivent pas mais les charges sont bien là. En milliers d'euros, quand vous n'avez pas de revenu, ca prend vite une tournure terriblement angoissante.
Et je bois de plus en plus. Pour pouvoir dormir sans penser au RSI aux banques aux assureurs, et toute la sainte trinité. Et aussi pour passer le temps car les journées se font longues.
D'abord au rosé. 2 litres 3 litres puis 4... A vomir son vin, et reboire derrière, la grande classe. Je suis seul toute la semaine car mon amie ne trouve pas de travail dans la region. Elle me retrouve le weekend, la plupart du temps déjà bien allumé à son arrivée, et buvant encore devant elle, même la nuit, ouvertement ou en planque... Elle s'inquiète pour moi et pour nous. Ne sait pas trop quoi faire. Si elle doit m'engueuler, ne rien dire, rester ou se barrer.
Elle sait que je bois pour supporter la folie du monde. On en parle souvent. Elle comprend que je ne fais pas ça pour m'amuser.
Si elle s'énerve, je la renvoie face à ses contradictions à elle. Ou je ne dis rien, car je n'ai rien à dire, je suis vide ou en colère. Je tente d'expliquer, de lui montrer l'aspect incontrolable et salvateur de mon mortel médicament liquide. La haute conscience que j'ai du phénomène. Parfois j'ai pu dire des trucs horribles.
Je ne suis jamais violent physiquement, mais je peut être terrifiant de cynisme.
Si elle ne dit rien, je bois quand même, on fait semblant que tout soit normal et les non dits s'amassent.
C'était les pires moments.
J'étais perdu, triste comme une pierre de lui faire subir ça. J'ai peur de tout perdre. Je me dis parfois que je devrai m'accrocher à une branche et qu'on en finirai avec cette vallée de larmes.
Et j'ai honte. De ne pas pouvoir travailler comme j'aimerai. De ne pas gagner de fric. De boire comme un trou du matin au soir. D'organiser ma vie autour du stock de produit. De laisser trainer la paperasse et tout ce qui m'emmerde, ce qui me vaut majorations et lettres de relances ou d'huissiers en pagaille. De lui laisser gérer toute la situation, les factures, tout. Situation anxiogène au possible.
Et vas-y que je picolle encore plus. Au pastis, même la nuit. Je me relève pour boire un verre ou deux,chargé comme un colombien. Parfois pur, au goulot direct... Bien dégueu qui colle à la gorge. Je dors le jour, ou plutot je cuve mes verres de la nuit. J'ai les yeux jaunes, la langue verte et je sens la distillerie irlandaise à trois bornes.
Je ne peux plus dormir si j'ai pas ma dose. Et si j'essaye, completement épuisé, je dors deux heures et me réveille avec l'obsession fatale.
J'ai 30 ans. J'ai tout. Je vis dans le genre d'endroit dont j'ai toujours révé quand j'étais gosse, au vert. J'ai un métier que j'aime, j'ai une petite femme en or, des parents adorables, un frangin génial... La santé, pas de dettes (sauf la maison) J'ai tout, et je fous tout en l'air. Cercle vicieux, je bois encore plus pour survivre à ma connerie, ma honte, ma faiblesse, enfin vous connaissez le topo.
J'essaye d'arreter net, plusieur fois. Je tiens une semaine de torture. Ou deux. Mon record c'est environ 3 mois. L'enfer des abstinents. Je crois que j'ai pas besoin de vous expliquer de quoi il retourne, ici ! Le pire c'était de me reveiller en ayant revé que je buvais. Le gout dans la bouche, a me demander si c'était vrai, si c'etait encore un black-out, si j'avais vraiment bu, et quoi ? Combien ?
Les cuites passent. Quotidiennes.
J'essaye de comprendre, de trouver des solutions avant de tout perdre, mais rien. Je lis beaucoup, et toujours la même chose : des médicaments qui marchent à moitié au mieux, des cures et des rechutes... Déprimant. Rien à faire. Je suis donc contraint de faire ma vie en fonction de la maudite bouteille ?
Je ne fais plus de musique, plus de dessin, plus rien de ce que j'aimais. Je bois, claque des sommes fantastiques en boisson, je rentre chez moi et je m'atomise lecerveau en revant d'être autre chose qu'une merde de pochtron. Je vois le moins de gens possible, essayant de cacher mes mains qui tremblent, de ne pas trahir mes black-out... (Ah je t'ai téléphoné hier ? Ahhhh ouiii.... hm hm..).
Puis un jour, je m'en souviens si clairement, j'étais assis dehors sous mes arbres, probablement déjà bien bourré, il faisait beau en cette fin de printemps, et j'écoutais France Inter débiter sa propagande et ses faits divers quand mon oreille capte « alcool »... Ils étaient en train de parler de la découverte d'Olivier Ameisen. J'en avais les larmes au yeux et un sourire jusqu'aux oreilles !
Je suis retourné réécouter ça sur internet, et j'ai commandé son livre.
Un espoir ! Un putain d'espoir ! Enfin une porte.
Il m'a fallu quelques mois pour me décider. Entre temps j'ai arrêter mon entreprise avant d'être completement ruiné. Et depuis je descend environ un litre de vodka par jour. Sinon pas moyen de dormir ou de supporter la situation.
Il y a un mois, pour la première fois, je suis aller voir mon toubib. Elle n'a pas voulu me prescrire de baclo, mais m'a donné du seresta 10mg. C'est vrai que ca aide à tenir le coup sans boire, et surtout à dormir, parce que j'enchainais les nuits blanches d'angoisses, c'etait insupportable et épuisant.
Elle m'a orienté vers un alcoologue. Qui je l'ai su un peu avant ne prescrivais pas de baclo non plus. Alors, nous avons causé une bonne heure, bon contact, et convenant de nous revoir dans 15 jours et dans un mois. Et je suis reparti avec de nouveau seresta et naltrexone. Je ne lui ai pas parlé du baclo.Je le ferai dans quinzes jours. On verra bien sa réaction.
Je sais que je ne devrai pas penser ça, mais je suis surs que son seresta et sa naltrexone ne changeront rien. Et la théorie du « d'abord déconditionner la prise d'alcool» c'est du flan... Autant aller bruler un cierge. M'enfin, je veux bien jouer le jeu. Rien à perdre.
Je crois que je vais quand même chercher un prescripteur de baclo. J'ai déjà des pistes. J'attend juste mon second rendez-vous, pour tester la réaction du Doc. Si c'est niet, on avisera. Aprés 15 ans d'alcoolisme, je suis plus à 2 mois prés.
Nous avons 31 et 32 ans maintenant.
Ma femme cherie est toujours là, et plus que jamais ma moitié. Je lui dois tellement. Je ne serai probablement plus là à vous prendre la tête si elle n'était pas là. (Remerciez là ! )
Elle est souvent désemparée et triste de ne pas pouvoir faire plus pour moi. Je lui ai dit si souvent qu'elle fait déjà plus que ce qu'elle ne pense.
J'ai cette chance immense d'avoir une femme fantastique, et des parents en or. Qui savent mon alcoolisme puisque je leur ai dit. Qui ne me juge pas, et qui sont là pour moi. Je n'ai jamais eu droit au si banal et compréhensible « pourquoi tu bois, tu fous ta vie en l'air, etc... ».
J'ai aussi un frère formidable, un Juste, que j'aimerai voir plus souvent. Et pas que lui prendre la tête au téléphone pendant des heures quand j'ai 12 grammes dans chaque bras.
Voila, j'en suis là. Plein d'éspoir. Merci à ceux qui ont tenu jusqu'au bout. Et merci à tous en général. Jevous souhaite plein de courage, face à la méchante molécule, on vas s'en tirer. Je suis plein d'espoir en bonne partie grace a vous tous.
C'est vraiment émouvant et régénérant de lire les témoignages de ceux qui s'en sont sortis.
Vous écrire cette belle tartine m'a fait beaucoup de bien. Je sais qu'ici je ne serai pas jugé comme «à l'exterieur » Vous me comprenez, je n'ai aucun doute.
J'éspère que ces quelques mots seront utiles à tous ceux qui en auraient besoin.
J'essaierai de donner des nouvelles bientôt.
PS : Je viens d'apprendre le décés d'Olivier Ameisen. C'est une grande tristesse qui me noue la gorge. Puisse-t-il reposer en paix. J'éspère qu'il sera reconnu pour ce qu'il a fait : une révolution.
Bien amicalement,
Oliv